Tribune : « Non, l’Europe n’est pas foutue ! »
L’agressivité des États-Unis et la menace d’une guerre économique avec eux, renforcées par les tensions géopolitiques, mettent en lumière l’urgence de redéfinir les priorités de l’Europe. Pour retrouver sa place, l’Europe doit se réinventer, renforcer sa souveraineté et oser investir dans l’innovation et les secteurs stratégiques. Par Jean-Marc Liduena, Directeur Général du cabinet Circle Strategy et Président de la Fondation des Bernardins
Les prémices de 2025 sont rudes pour la vieille Europe. Sclérosée depuis plusieurs années par un manque de capitaux et une réglementation excessive, elle accuse un retard technologique évalué à 800 milliards d’euros par le rapport Draghi, paye cher sa dépendance énergétique et subit la défiance croissante de ses plus grands hommes d’affaires, dont Bernard Arnault et Florent Menegaux se sont fait porte-paroles.
Alors que la menace d’une augmentation des droits de douane américains et la probabilité d’une guerre économique avec les États-Unis assombrissent le paysage, l’humiliation publique de Zelensky par Trump semble consacrer l’impuissance de l’Europe sur la scène mondiale.
Une révision profonde des priorités s’impose
« La vieille Europe ; elle ne revivra jamais : la jeune Europe offre-t-elle plus de chances ? » demandait Chateaubriand en 1849. La « vieille Europe » freinait son esprit entrepreneurial et bridait l’innovation, invoquant depuis 2007 une précaution érigée au rang de principe sacro-saint. Aujourd’hui, la défiance américaine et l’agressivité russe sont une vraie « chance ». Elles forcent l’Europe au sursaut et à l’audace. Nous avons les ressorts et le devoir d’imposer une souveraineté européenne en contre-offensive de cette déferlante américaine. Nous devons repenser une « jeune Europe », prête à assumer et exercer sa puissance.
Pour renforcer la souveraineté de la jeune Europe, nous devons encourager la montée de champions industriels européens. Pourquoi se priver d’un soutien affirmé à nos entreprises sur notre marché ? Cela reviendrait à renier le génie européen. Il a donné au monde ses meilleurs mathématiciens et ingénieurs en IA, ses plus grandes enseignes de mode et de luxe, ses géants de l’agroalimentaire, de l’aéronautique et du spatial. Nous devons réviser les règles de concurrence pour capitaliser sur ces secteurs où l’Europe, et particulièrement la France, exerce un leadership mondial.
La jeune Europe sera celle qui libérera l’innovation
Pourquoi ne pas offrir à notre capital risque l’audace qui permet au venture capital américain de financer la prise de risque des précurseurs ? Alléger nos contraintes réglementaires nous permettra d’investir dans l’indépendance européenne de demain, en particulier dans les secteurs de l’IA, de l’énergie et de la défense. La mise en place d’un marché unique des capitaux en Europe pourrait aller dans ce sens. Elle renforcerait la compétitivité de notre système financier, elle libéraliserait les flux et orienterait les investissements privés vers ces secteurs stratégiques. Ayons l’audace d’offrir plus de marge de manœuvre aux innovations en IA. Ayons l’audace d’investir dans les ressources en biométhane et en hydrogène vert de notre territoire, car elles sont la voie vers notre indépendance énergétique. Ayons l’audace de renforcer les fleurons français et européens de notre base industrielle et technologique de défense, afin de concrétiser l’autonomie stratégique chère à Emmanuel Macron.
Au Vendée Globe, les Américains sont les grands absents parmi les gagnants. Si les États-Unis gagnent les courses de vitesse, nous sommes résolument meilleurs en course de fond. L’Europe doit s’ancrer dans une course de fond pour résister avec confiance, résilience et vision. Les dirigeants français et européens doivent tenir la barre par une stratégie audacieuse et donner le cap. Les dirigeants français et européens peuvent incarner l’espérance au sein des eaux troubles. Les chefs d’entreprise doivent oser prendre des risques, malgré cette période d’incertitude et de turbulences géopolitiques. Car c’est par l’audace que l’Europe retrouvera sa place, non seulement sur l’échiquier économique et géopolitique mondial, mais aussi dans le cœur de ses citoyens.
Jean-Marc Liduena est Directeur Général de Circle Strategy.
Liduena, Jean-Marc « Non, l’Europe n’est pas foutue » in La Tribune, 24/03/2025