Tribune : Banque à réseau versus banque à zéro, qui écrira l’histoire ?
BoursoBank, Revolut et Nickel ouvrent à elles plus de comptes que toutes les banques à réseaux en France. Mais ces dernières captent encore la grande majorité des revenus du secteur. Christophe Baniol, de Circle Strategy, analyse le match.
2024 aura été en France l’année des banques en ligne. Elles ont en effet franchi collectivement le seuil des vingt millions de clients et servent désormais un Français majeur sur trois. Cerise sur le gâteau, la remontée des taux les a rendues bénéficiaires, souvent pour la première fois. Après un quart de siècle de promesses non tenues depuis l’avènement du numérique, les banques en ligne ont cette fois vraiment le vent en poupe.
Alors, entre la banque à zéro – zéro agence, conseiller, frais – et la banque à réseau, le match est-il plié ? Non, car si les deux modèles ont convergé sur certains points – l’une affiche désormais une offre large et l’autre est, elle aussi, presque totalement digitalisée -, ils n’en proposent pas moins une promesse client opposée.
Des promesses client opposées
Pour la banque digitale, parler à un client est le plus souvent un échec, le symptôme d’un parcours numérique perfectible et l’annonce de coûts de fonctionnement excessifs. Elle parie sur un rapport à l’argent transactionnel et banalisé. Elle trouve une clientèle plutôt urbaine, jeune et aux revenus confortables qu’elle conquiert par la gratuité de la carte et du compte ainsi que par un marketing iconoclaste.
Pour la banque à réseau, ne pas voir un client est une douleur, car c’est ainsi qu’elle le fidélise et l’équipe de produits à forte valeur ajoutée, tarifés à l’avenant. Elle table sur un rapport à l’argent émotionnel auquel elle répond par une promesse de réassurance affirmée et un ancrage dans la vie de la cité à travers l’agence et son rayonnement. Elle mise sur les enfants de ses clients pour se renouveler et, pour fidéliser, sur le prêt immobilier ainsi que sur la viscosité des comportements de sa riche base de clients.
Les deux modèles s’affrontent dans une lutte acharnée que chacun s’enorgueillit de remporter. La banque numérique fait la course en tête sur la conquête. BoursoBank, Revolut et Nickel font à elles seules plus d’ouvertures de comptes que la totalité des banques à réseaux en France. Ces dernières à l’inverse captent encore plus de 90 % des revenus du secteur. Ce grand écart clients/revenus s’explique par la multibancarisation des clients des banques digitales. Ces derniers, en confiant leurs dépenses aux uns et leur épargne aux autres, entretiennent cette bizarrerie. Au fond, en vingt-cinq ans, les lignes ont donc beaucoup… et très peu bougé.
Multiplier le revenu par 10
Et demain ? BoursoBank sera-t-elle en 2040 la première banque française ? Possible mais pas certain, car chaque modèle fait face à un sérieux défi stratégique.
Les banques digitales devront générer du revenu par client. Pour tenir leur promesse actionnariale, elles devront le faire dans un rapport d’un à dix. Revolut par exemple, valorisé à 41 milliards d’euros, a affiché en 2023 moins de 400 millions d’euros de résultat net. Soit un PER de cent quand les grandes banques françaises sont sous les dix ! Il va falloir « principaliser » des comptes secondaires, équiper les clients et commencer à facturer ce qui est aujourd’hui gratuit… sans perdre sa raison d’être. Pour qui a baigné dans la conquête et la gratuité, cette culture de la fidélisation et du prix ne sera pas facile à intégrer.
Pour les banques à réseau, le défi est inverse. Il s’agit de justifier les prix pratiqués par une qualité de service bien supérieure à celle d’aujourd’hui. La joignabilité, la réactivité, l’expertise des conseillers doivent se renforcer considérablement. L’agence, mise au centre du modèle, s’affirmera comme un lieu de vie plus local que jamais, tandis que les back-offices seront amenés peu à peu à disparaître pour abaisser la base de coût. Le « customer care » doit devenir une obsession. Enfin, les thématiques sociétales ont intérêt à être prises à bras-le-corps pour entretenir le lien émotionnel. Bref, là aussi, une révolution culturelle en perspective.
« Money for value » pour les uns, « value for money » pour les autres, à chacun son défi… et des questions pour tous ! Une seule certitude : le client sera le grand bénéficiaire de ce choc des modèles qui poussera chacun à l’excellence.
Christophe Baniol est associé chez Circle Strategy
Baniol, Christophe, « Banque à réseau versus banque à zéro : qui écrira l’histoire ? » in Les Echos, 25/12/2024