Tribune : Monétiser la durabilité
Les produits « durables » ne sont pas nombreux, malgré les attentes des consommateurs. « Trop cher pour les clients et pas assez rentable pour les entreprises ». Il suffit pourtant de la bonne stratégie de monétisation, écrit Florin Istrate, associé chez Circle Strategy.
Les ventes des produits durables peinent à décoller : elles ne représentent qu’une part faible des ventes totales de produits et services , à laquelle s’ajoute une vitesse de remplacement encore lente. Comprendre les freins des consommateurs et des entreprises est indispensable.
Les consommateurs sont fréquemment découragés par le prix, une disponibilité souvent aléatoire, le manque de transparence sur les caractéristiques durables d’un produit ou une incompréhension de sa valeur ajoutée. Certains sont même peu sensibles à ses aspects durables.
Trois obstacles freinent les entreprises. Certaines manquent d’intérêt, préférant privilégier des stratégies estimées plus rentables à court terme . D’autres appréhendent les investissements nécessaires, jugés démesurés par rapport aux profits escomptés. Enfin, nombre d’entre elles n’ont pas les ressources nécessaires à la transformation de leur modèle opérationnel.
Une définition floue
La monétisation de la durabilité s’impose comme un enjeu central : il s’agit de trouver le juste équilibre entre la volonté de payer plus des consommateurs et l’extraction de valeur par les entreprises. Mais plusieurs complications se rajoutent à ce problème de monétisation.
D’une part, le concept de durabilité comprend de multiples critères et sous-critères (par exemple, l’impact environnemental, le bénéfice santé/bien être, la répartition équitable de la valeur, etc.). Or, un produit durable en satisfait très rarement l’ensemble. De plus, cette proposition de valeur est subjective pour le consommateur : elle dépend de ses attentes, du contexte de consommation et de sa familiarité souvent pauvre avec le sujet.
D’autre part, la durabilité fait régulièrement l’objet d’un greenwashing . Selon un rapport de la Commission Européenne, dans 42 % des cas, les allégations de durabilité sont exagérées, fausses ou déceptives. Une profusion de labels durables et l’absence d’un cadre juridique commun entretiennent des pratiques qui manquent de cohérence ou de transparence. Il est à noter que peu d’entreprises fournissent un effort d’éducation des consommateurs sur ces enjeux.
Enfin, le modèle de pricing des produits durables est biaisé. Les surcoûts réels liés à la durabilité n’expliquent que 20 à 30 % de la majoration de prix total demandé au consommateur. Les 70 à 80 % restant s’expliquent par des biais d’allocation des coûts ou par un effet multiplicateur sur les marges des différents acteurs de la chaîne de valeur.
Solution en 4 étapes
Consommateurs, investisseurs et autorités ont un rôle à jouer. Mais les entreprises restent les mieux placées pour traiter ce problème de monétisation. Quatre étapes peuvent leur permettre de mieux monétiser leurs produits durables. Malgré leur apparence triviale, peu d’entreprises appliquent correctement et systématiquement ces étapes.
Une entreprise doit avant tout comprendre les attentes et comportements des clients en matière de durabilité. Une analyse fine et déclinée par segment client fournira des leviers actionnables.
Elle doit ensuite concevoir l’offre durable la mieux adaptée. Un produit durable doit présenter les principales caractéristiques valorisées par les clients, tout en évitant le superflu qui entraînerait un coût additionnel, et créer ainsi une différenciation par rapport à la concurrence.
Une troisième étape consiste à calibrer un modèle de revenu idoine. Cela suppose de jauger les attentes financières , d’estimer les coûts, de projeter les volumes de vente attendus, de trouver le modèle de tarification adapté et de définir le niveau de prix optimum pour maximiser la masse de marge.
Pour finir, la mise sur le marché implique la création d’écosystèmes avec les fournisseurs, concurrents et distributeurs, l’acculturation et l’implication active des clients et la mise en oeuvre coordonnée d’un plan d’action commercial adapté aux produits durables.
En suivant cette démarche systématique, les entreprises pourront capter efficacement les demandes du marché et surmonter les obstacles aux choix d’achats durables des consommateurs. Elles favoriseront ainsi le développement d’une offre vertueuse et la création de valeur associée.
Florin Istrate est Partner chez Circle Strategy.
Istrate, Florin « Monétiser la durabilité » in Les Echos, 3/102024.
https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/opinion-monetiser-la-durabilite-2123137