Tribune : Donald Trump contre l’Europe, faut-il encore investir aux Etats-Unis ?
Les tarifs douaniers imposés par le président américain risquent de bouleverser les dynamiques d’investissement aux Etats-Unis. Ils peuvent représenter une chance pour l’Europe qui ne doit pas négliger ses atouts, plaide Jean-Marc Liduena, directeur du cabinet Circle Strategy.
Initialement fixée au 9 juillet, l’entrée en vigueur des nouveaux droits de douane américains a été repoussée au 1er août, laissant un maigre sursis aux Etats pour négocier un accord commercial à la hâte. L’heure est à l’incertitude pour les dirigeants européens. La volatilité des devises, les velléités douanières américaines, la guerre commerciale et le rapport de force avec Washington inquiètent les entreprises. La Commission européenne s’efforce de négocier, mais cette guerre commerciale entraîne déjà un report des investissements et freine la croissance économique. Une hausse à 30% des droits de douane américains risquerait de faire perdre 100 milliards d’euros à l’Europe, selon Allianz Trade.[1] Dans son discours du 3 avril à l’Elysée, le président Emmanuel Macron appelle les entreprises françaises à suspendre leurs investissements aux Etats-Unis.
Plusieurs entreprises font le dos rond. Pourtant, le statu quo est inenvisageable. Faut-il pour autant redéfinir les plans stratégiques des entreprises françaises et européennes ? Le temps de la stratégie n’est pas celui d’un Donald Trump toujours pressé. Au contraire, la stratégie requiert un tempo mesuré, qui se détourne du rythme erratique des décrets présidentiels américains pour s’ancrer dans une réflexion au long cours.
Certaines entreprises se sont immédiatement positionnées. Celles qui produisent déjà massivement aux Etats-Unis sont moins exposées. Dès le 3 avril, plusieurs patrons ont désapprouvé l’injonction de l’Etat français à suspendre les investissements. Ils ont raison. Nous devons lutter pour conserver une présence européenne au cœur du marché américain, incontournable et sans équivalent : il représente 20,6% des exports européens, selon la Commission Européenne, et des centaines de milliers d’emplois français. Nos entreprises qui y réalisent une grande partie de leur chiffre d’affaires doivent investir et y localiser leurs capacités de production, à l’instar de Sanofi, Stellantis et LVMH qui augmentent le « Made in USA ».
D’autres entreprises comme Hermès, Safran et Airbus répercutent en partie les surcoûts douaniers sur les prix de vente aux Etats-Unis. Cette approche peut être envisagée pour les secteurs du luxe, de l’industrie, et pour tous ceux dont les produits peuvent plus aisément absorber une hausse de prix.
Il serait illusoire de penser reporter les exports vers les Etats-Unis sur de nouveaux marchés mondiaux comme l’Asie. A moyen terme, les dirigeants doivent anticiper les contrecoups de la guerre commerciale, à commencer par l’imposition par les Etats-Unis de nos partenaires commerciaux asiatiques. En cas de réorientation des exports d’Asie vers le marché européen, nous devons être prêts à affronter une nouvelle concurrence, notamment chinoise. Il nous faut retrouver notre souveraineté industrielle et commerciale, produire et vendre en Europe, construire notre cadre législatif et nos propres droits de douane.
Dans tout processus de négociation avec les Etats-Unis, les dirigeants politiques et économiques européens doivent avoir en tête nos nombreux atouts. Le marché intérieur européen est vital pour l’économie américaine : il représente 13,7% de leurs exports, selon le Conseil européen, et 30 à 40% des revenus des plateformes numériques américaines. De plus, un euro fort face à l’inflation et la dévaluation simultanée du dollar fera des consommateurs américains les premiers perdants de cette guerre commerciale. Enfin, les Etats-Unis sont dépendants de l’Europe pour les compétences de fabrication de certains biens classiques. Sur les 3,8 milliards de tonnes d’acier vendus par l’Europe, par exemple, plusieurs sont des aciers spécialisés dont les Etats-Unis ne peuvent se passer.
Les entreprises européennes doivent prendre des décisions tactiques pour répondre aux défis immédiats posés par les Etats-Unis, sans pour autant changer les grandes directions stratégiques des groupes. Conduire une réflexion stratégique à la hâte serait ployer sous le discours d’intimidation de Donald Trump. Au contraire, prenons ces défis comme tremplins d’une réflexion stratégique à plus long terme : Comment œuvrer pour créer les conditions d’une sécurité économique vis-à-vis de la Chine et des Etats-Unis ?
Jean-Marc Liduena est Directeur Général de Circle Strategy.
Liduena, Jean-Marc « Droits de douane : Prenons ces défis comme tremplins d’une réflexion stratégique à plus long terme en Europe » in Les Echos, 15/07/2025
[1] Allianz Trade Global Survey 2025 – “Trade war, trade deals and their impacts on companies”; https://www.allianz-trade.fr/content/dam/onemarketing/aztrade/allianz-trade_fr/news/200525/2025-05-20-Trade-survey-AZT.pdf